De Aurélie Drake, Psychologue MDA34

A l’annonce du confinement, j’organise avec engagement mon temps professionnel. Je m’appuis sur mon éthique pour maintenir les conditions d’une rencontre possible dans le cadre d’entretiens psychologiques à distance. C’est donc rapidement une porte que j’ouvre dans un nouvel espace et une temporalité qui s’organise et que je referme le soir… Chaque journée étant rythmée de la même façon, je m’initie à la consultation à distance, et m’adapte peu à peu à cette autre intimité qui s’établie avec les adolescents sensibles à l’attention qui leur est portée.

Certains adolescents préfèrent le téléphone, d’autres les échanges écrits, d’autres l’entretien en visio. Je construis avec chacun cet entre-deux possible permettant une parole libre et autre. Cette façon de se parler paraît créer une spontanéité chaleureuse et bienveillante. C’est ce qui maintient du désir chez moi de tenir cette place-là qui marquera sans doute ma vie professionnelle. Une dimension très humaine ressort de toute cette démarche me rappelant combien j’aime mon métier de psychologue.

Les adolescents avec lesquels je parle et qui étaient en cours d’accompagnement confirment tous l’importance pour eux de maintenir le lien, des repères :

« c’est mon temps à moi, le moment où je parle de ce que je veux, la situation de confinement ou pas comment je me sens, ce que je vis, mais aussi mes rêves, mes attentes et mais peurs de maintenant et quand tout sera fini. »

Manquant encore de recul, je fais un premier constat lié au caractère inédit de cette situation : elle mobilise des ressources surprenantes tant chez les adolescents que des familles pour s’adapter. Confrontée à une période de crise les membres d’une famille vont rechercher une homéostasie, c’est- à-dire un principe d’équilibre rendant les choses tenables. Il y a du respect, de l’entraide, une bienveillance possible dans certaines familles dont les membres se surprennent eux-mêmes à bien supporter cette situation :

« Nous essayons de faire quelque chose de positif de cette situation car on n’a pas le choix et il y a plus grave ».

Confronté au confinement c’est pour un bon nombre l’occasion de porter un autre regard sur la manière de préserver une intimité dans un espace/temps partagés sans avoir les mêmes possibilités d’extériorité que d’habitude. Tout doit désormais se faire dans un même lieu. C’est bien la façon dont chacun va vivre ce « Tout » qui va différer me semble-t-il. Il est justement remarquable d’entendre la façon dont chacun vit cette période de confinement avec ce qu’il est, ses ressources et ses fragilités pouvant se trouver exacerbées.

Pour bon nombre de collégiens, pouvant souffrir d’une phobie scolaire, la situation de confinement vient véritablement apaiser quelque chose en eux lié au fait d’être distance du collectif, mais pour certains, le pas est risqué vers une phobie sociale, c’est à dire que la situation de confinement peut exposer certains adolescents à se couper de tout lien. Ce sont des situations pour lesquels la consultation à distance est bien appropriée.

De même des adolescents très déprimés avec ou sans idées suicidaires nous mobilisent d’autant plus qu’ils sont particulièrement évitant et sensibles aux angoisses éprouvées par l’entourage pouvant être exacerbées en de pareilles circonstances. Le recours au passage à l’acte comme la fugue ou les scarifications peuvent leur paraitre une solution pour apaiser une souffrance…. Là encore maintenir un lien et une parole possible à distance a toute son importance.

Egalement, pour beaucoup d’adolescents, cette situation de confinement les met à l’épreuve d’une séparation physique d’avec les pairs et beaucoup disent en souffrir. C’est alors l’occasion de partager leur vécu et de mieux se connaitre. La consultation à distance permet cette élaboration rendant la période tenable psychiquement. Ce n’est pas négligeable car il n’est pas rare d’entendre de l’adolescent qu’il est au bord de devenir fou du fait voir personne avec le fantasme que si c’était possible de voir les personnes physiquement il serait plus simple de régler un conflit.

Enfin, les adolescents étant exposés à des situations de violence intra-familiales, ou ceux ayant des troubles du comportement, des conduites addictives ou qui se trouvent situation de désinsertion se trouvent potentiellement exposés à un climat de menace et/ou de violence vécue en lien avec le non-respect du confinement la nuit par exemple ou il serait de coutume de sortir en bandes pour s’approvisionner, se rassurer auprès des pairs, se décharger de tensions insupportables… Le travail en réseau, le maintien du lien avec les partenaires mobilisés autour d’une même situation est fort utile pour ses situations les plus complexes.